CO - 09/08/2023 - Ses souvenirs d’enfance sur la guerre


À 87 ans, Gabriel Pasquereau confie au Courrier de l’Ouest ses souvenirs d’enfance de la Libération d’Angers en août 1944. Il revient sur le moment qui l’a poussé à prendre la plume.

Bon, on y va ? Fini de causer. En cette chaude après-midi de mai, Gabriel Pasquereau enfile ses chaussures à l’aide d’un long chausse-pied. Nous sommes au sud d’Angers, à la limite de Sainte-Gemmes-sur-Loire. Autrefois, on appelait ce secteur la campagne Saint-Laud. Tout juste âgé de 87 ans, l’ancien maraîcher veut nous montrer.


Gabriel Paquereau en mai 2023
Gabriel Paquereau en mai 2023


Les impacts de balle sur la corniche d’une vieille maison au niveau de Frémur. Le site du Camp de César pris par les Américains avant de libérer Angers. Les flammes sur le château du Frémureau. La ligne de défense des soldats allemands sur le chemin du Hutreau. Au milieu de ce triangle infernal, la maison familiale. Avant c’était beaucoup moins boisé qu’aujourd’hui. Ici, il y avait des champs partout, raconte-t-il.

Gabriel Pasquereau est l’un des derniers témoins vivants de la Libération d’Angers. Pour la première fois, il a accepté de raconter son histoire au Courrier de l’Ouest, pour les jeunes générations. La guerre qui secoue l’Est de l’Europe a réveillé en lui de mauvais souvenirs. Lorsque j’ai appris que les Russes ont envahi l’Ukraine, je n’ai pas pu m’empêcher de pleurer.

Malgré son grand âge, il n’a rien oublié de ces terribles nuits d’août 1944. Le 8, il se trouvait dans la maison familiale avec sa mère Marie Rose lorsque les soldats américains ont pris le pont de Pruniers. Depuis quatre ans, son père Auguste est retenu dans un camp de prisonniers en Prusse orientale.


Un énorme bruit et un nuage de poussière

Le petit garçon, né en 1936, suit sa scolarité à l’école Saint-Germain (aujourd’hui Sainte-Bernadette) à Angers. Sa mère assure le travail à la ferme. Une vie sous l’Occupation allemande entrecoupée de moments joyeux avec les cousins et les cousines chez les grands-parents rue du docteur Guichard. Il y a aussi les moments de solidarité. Faute de pouvoir les vendre, sa mère distribuait ses artichauts après les avoir fait cuire dans la grande lessiveuse.

En mai 1944, le petit Gabriel entend les sirènes. Dans sa classe, 48 élèves autour de lui. Agitation. Les frères nous regroupent et nous font déguerpir dans la campagne toute proche. En raison d’alertes incessantes, les grandes vacances sont décrétées le 20 du mois. L’enfant voit l’inquiétude monter autour de lui. Depuis le grenier de la maison au Bois-Brault, il suit l’attaque aérienne de la gare d’Angers. En juillet, alors qu’il joue avec des copains, il est témoin d’un énorme bruit et un nuage de poussière au carrefour de Beauséjour et du Nid de Pie. Deux bombes viennent de tomber tout près sans faire de victime. La guerre se rapproche.


Des pas au-dessus de la tête

Du 7 au 10 août, sa maison est au cœur des combats entre soldats allemands et alliés. Au plus fort de la bataille, il doit se réfugier dans la cave d’une maison voisine avec plusieurs familles. Situé à proximité du lotissement construit dans les années 1970, le bâtiment existe encore. Gabriel tient à nous y emmener. C’est ici, entre les tirs et les obus, qu’il fête son anniversaire le 9 août. J’attrape mes huit ans. Pendant tout le reste de sa longue vie, ma maman me rappellera toujours ces moments que nous avons vécus ensemble, dit-il.

Le 10 août, jour de la Libération d’Angers, il entend les pas au-dessus de nos têtes ». Les combats tout près. Les bruits de deux chars américains. L’un d’eux va emporter le coin de mur du bâtiment, avant qu’un obus tombe à deux mètres. Les stigmates de l’eraflure sont toujours visibles aujourd’hui. Dans la pièce, tout se bouscule. Les casiers de bouteille tombent sur le sol. Nous avons eu beaucoup de chance mais aussi très peur.


Vue du chemin du Bois Brault à Angers
Vue du chemin du Bois Brault à Angers.
Au centre de la photo, la maison et la cave où se sont réfugiés Gabriel, sa mère et des voisins


Un livre pour les siens

Gabriel Paquereau et sa mamanIl y a trois ans, il s’est décidé à poser des mots sur cette période. Si j’ai fait ça, c’est parce que mes enfants et petits-enfants me l’ont demandé, prévient Gabriel Pasquereau. Cet ancien lecteur de livres d’histoire n’avait jamais osé prendre la plume jusqu’alors. Je n’avais pas de notes, mais j’ai une bonne mémoire. Son témoignage mêle ses propres souvenirs d’enfant, marqué par l’absence d’un père et la détresse des adultes ; et les anecdotes rapportées par sa mère, son père, ses cousins, des voisins. On en parlait souvent entre nous, ajoute-t-il.

Peu à l’aise avec l’informatique, il a lu son texte manuscrit et confié ses photos d’archives à sa voisine qui s’est chargée de tout retranscrire et mettre en page. Le petit livre de 90 pages sonne comme un récit sincère et touchant. Tiré à quelques exemplaires, il a été distribué à la famille et à quelques amis. Avec le recul, le retraité qui n’a jamais quitté la campagne Saint-Laud se dit que, peut-être, il aurait pu l’éditer. Mais c’est trop tard maintenant, juge-t-il. Notre curiosité semble l’étonner : C’est vrai, vous avez trouvé ça intéressant ?

Franck de Brito

Article paru dans le Courrier de l'Ouest le 9 Août 2023.


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