Louis Bouchez, témoin de la libération de Sainte Gemmes-sur-Loire

Les 8,9 et 10 août 1944, le 3ème bataillon de la 5ème Division d’infanterie américaine libérait Angers en faisant sauter le verrou de Sainte Gemmes-sur-Loire. Louis Bouchez se souvient.

Louis Bouchez, témoin de la libération de Sainte Gemmes-sur-Loire
Louis Bouchez et son fils Jean-Marc

Louis Bouchez avait 20 ans en août 1944 et il était là à l’arrivée des troupes américaines. Son esprit va bien et ses souvenirs sont encore très précis. Il est originaire d’Armentières (Nord) où son père dirigeait une usine textile (tissage). « En juillet 1941, nous nous sommes réfugiés à Cholet, où l’entreprise possédait un dépôt et nous y avons passé l’hiver. Puis mes parents ont acheté la demeure du « Nid de Pie » (aujourd’hui « Les Blancs Misserons »), chemin du Hutreau à Sainte Gemmes-sur-Loire. Malheureusement, mon père est décédé peu après et je suis devenu chef de cette famille nombreuse ». Louis Bouchez fait alors ses études à Angers au collège Saint Maurille (devenu collège Saint Benoit), puis à l’Université catholique de l’ouest où il étudie le droit.

D’autres réfugiés affluent à « Nid de Pie », vaste demeure avec dépendances (granges…) : des Belges, des gens du Nord, des cousins dont un lieutenant, François Watine qui deviendra haut fonctionnaire. Ils seront une trentaine à l’été 1944. « Nous n’étions pas malheureux. Nous possédions beaucoup de bobines de fils de couture, très recherchées, qui étaient de l’or pour le troc alimentaire ».

Les soldats allemands n’étaient pas des plus redoutables. « C’était plutôt des territoriaux, pas des SS, et ils avaient un certain âge. Ils se sont faits tirer comme des lapins ».
Des signes précurseurs de l’arrivée des Alliés se sont déjà manifestés. Les trains de transport de militaires et de ravitaillement allemands sont régulièrement mitraillés au niveau de la tranchée conduisant au grand pont sur la Maine par les Lightning P38, communément appelés « double queues ». « Ils volaient si bas que nous échangions des saluts avec les aviateurs ». Dans la nuit du 28 au 29 mai 1944, l’aviation anglaise bombarde le quartier de la gare d’Angers. Plus de 250 personnes y laisseront la vie.

Un jour, deux bombes, larguées pour des raisons inconnues par un appareil qui l’est tout autant, tombent  dans le jardin de « Nid de Pie » et près du Hutreau. « Je me trouvais avec ma grand-mère sous l’escalier de pierre. Personne n’a été blessé, mais un éclat métallique s’est fiché tout près d’un de mes frères allongé au sol et indemne ». La chèvre aussi a été soufflée par l’explosion, mais plus de peur que de mal.


Un jour, un bruit de canons se fait entendre dans le lointain. François Watine est formel : « C’est un canon américain ». Personne ne se doutait que les Alliés étaient si près. Le lendemain ou le surlendemain, le cousin décrète qu’il faut partir. Direction : le bourg de Sainte Gemmes où les réfugiés sont accueillis en pleine nuit par le curé Biotteau qui leur ouvre les portes de la cave du presbytère. Ils y demeurent trois ou quatre jours au milieu des barriques. Les Allemands quittent le village. Louis Bouchez se souvient les avoir vus près de l’église faire déguerpir au plus vite un cheval, tirant une remorque pleine de munitions devant leur casernement, car l’attelage présentait un gros risque d’explosion.


« Les nuits sont calmes. Parfois, on entend des rafales de mitrailleuses ou des coups de canons. Le jour, des avions d’observation américains guident les opérations au sol. La chasse allemande a totalement disparu ». Un jour, Louis Bouchez, une de ses sœurs, Anne-Marie et le lieutenant Watine enfourchent leurs vélos pour aller voir ce qui se passe à « Nid de Pie » et l’état de la propriété ainsi que pour récupérer leur chèvre. Ils remontent vers le nord de Sainte Gemmes et arrivent au début du chemin du Hutreau. Au carrefour, des Allemands, mitrailleuse en batterie, leur font comprendre qu’il y a danger. Néanmoins, le trio continue. A ce moment-là, des explosions d’obus américains encadrent le petit groupe qui en a été protégé par des murets. L’alerte passée, il retourne vers Sainte Gemmes.
La bataille fait rage toute la nuit.

Le lendemain, Louis Bouchez, un de ses frères, Pierre-Antoine, âgé de 12 ans et le lieutenant reviennent et arrivent au niveau du chemin de la Macheferrière. Trois soldats allemands casqués sont là, autour d’une mitrailleuse. Ils ne bougent pas. Le lieutenant tâte leur pouls. « Ils sont morts ». Tués par une grenade. L’un deux était en train de se poser un bandage sur sa jambe blessée. Le lieutenant pousse les Allemands et se saisit de la mitrailleuse pour la cacher dans un fossé. Le groupe pénètre dans le jardin de « Nid de Pie » par un trou dans le mur. Le silence règne. Un Américain apparaît alors, fusil en bandoulière. Le potager est creusé de trous dans lesquels dorment ou se reposent un peu moins d’une centaine de GI’s. Ils sont blancs, noirs. Certains parlent allemands entre eux car ce sont des immigrés venus d’Europe. « Notre lieutenant parlait anglais. Le dialogue s’est noué. J’ai goûté à ma première cigarette américaine, au jus d’ananas…Nous leur avons donné des poires du verger qui étaient délicieuses. Les soldats se sont changés et certains nous ont donné leurs gilets ».

Le groupe part ensuite en direction du pont de chemin de fer sur la Maine. Quelques cadavres jalonnent le chemin. Ils sont très nombreux à l’entrée du pont, déjà noircis et couverts de mouches. Morts américains et allemands seront évacués ensemble dans des camions militaires. Louis Bouchez prête main-forte à ce chargement tragique. Les Américains ont arraché les rails au bulldozer, engin encore inconnu en France, pour faire passer jeeps et blindés.

Les Allemands sont encore de l’autre côté de la Loire, sur les Ponts-de-Cé. Deux canons américains, installés à proximité de la maison de « Nid de Pie » tirent en leur direction. Par prudence, Sainte Gemmes-sur-Loire ne pavoisera que 15 jours après les combats
Louis Bouchez, accompagné d’un résistant, a été le premier se rendre au château du Hutreau après la fuite des Allemands qui y avaient logé la Gestapo et un centre de torture. « Il n’y avait personne. Signe de débandade : les assiettes étaient encore remplies et les couverts éparpillés. Le seul être vivant était un berger allemand que nous avons recueilli et donné à ma mère ».

Louis Bouchez demeure pendant 15 jours à « Nid de Pie » avec une de ses sœurs, Anne-Marie qui parlait anglais, et son jeune frère Pierre-Antoine. Le reste de la famille s’est réfugié au château de Villemoisan, à une trentaine de kilomètres, et reviendra pour les vendanges. Des GI’s stationnent quelques temps à « Nid de Pie ». Un peu désœuvrés, certains s’entrainent au tir en prenant pour cibles les isolants des lignes téléphoniques. La mitrailleuse allemande a repris du service aux mains des soldats américains qui surprennent l’environnement en tirant des rafales dans le trou de la bombe tombée dans le jardin quelques semaines auparavant.

Quelques jours après le départ des Américains, un soldat allemand, seul, fusil en bandoulière, sonne à la porte. Il est assez âgé et son unité a disparu. Louis Bouchez donne à manger à l’homme affamé qui repart pour se livrer.

Louis Bouchez repartira dans le Nord, à Armentières, en septembre 1944 au terme d’un périple pittoresque avec six de ses frères et sœurs. Premier jour : Angers-Vierzon en train et nuit chez l’habitant. Seconde journée : Vierzon-Orléans dans un wagon à bestiaux, relayé sur Orléans-Paris par un train « normal », mais bien rempli et nuit chez une famille rencontrée. Le surlendemain, départ de Paris-La Villette vers Péronne (Somme) en camionnette gazogène. Le chauffeur donnera une plaquette de beurre comme monnaie d’échange pour la poursuite du trajet.

Le périple se poursuit de Péronne à Lille dans un camion chargé de pneus rechapés Michelin, la plupart des frères et sœurs étant à l’arrière du véhicule.

Une vraie vie retrouvée va pouvoir recommencer. Chacun retrouve ses activités et les plus jeunes leur scolarité.

La famille vendra la propriété de « Nid de Pie » une dizaine d’années plus tard.


Propos recueillis par Alain Ratour, 21 septembre 2021